Erreur médicamenteuse en soins de ville

Tout sur la gestion des risques en santé
                et la sécurité du patient

Erreur médicamenteuse en soins de ville

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  • Une femme prend un médicament dans un pilulier - La Prévention Médicale

Les erreurs médicamenteuses représentent près du tiers des Événements Indésirables Graves liès aux soins en France.
Quel que soit le secteur de soins, les prendre en compte, les analyser, et construire les barrières de sécurité reste une démarche de prévention des risques, nécessaire pour garantir une sécurité des soins optimale.
La recherche des facteurs ayant contribué à générer cet EIG doit être réalisée pour être partagée avec tous les acteurs de soins et éviter toute répétition…

Auteur : Bruno FRATTINI – Cadre Supérieur de Santé IADE – Expert en prévention des risques - MACSF / MAJ : 09/01/2024

Présentation du contexte

Mme T., âgée de 78 ans, appelle son médecin traitant pour lui expliquer qu’elle constate une baisse de l’acuité visuelle et qu’elle n’arrive pas à prendre un rendez-vous (RDV) rapide avec son ophtalmologiste. Le praticien lui conseille d’aller faire un contrôle chez son opticien… et lui propose un rendez-vous quelques jours plus tard pour faire le point.

Mme T. consulte donc son médecin traitant après avoir fait un bilan d’acuité visuelle qui n’a pas été contributif. Le praticien fait le point avec la patiente à partir d’un interrogatoire détaillé. La patiente précise qu’elle a pris date pour une consultation avec son ophtalmologiste, dans un peu plus de 8 mois…

Le médecin traitant propose à la patiente de prendre un complément alimentaire qui pourrait améliorer sa vision en attendant la consultation spécialisée. Cette dernière accepte et le praticien lui rédige une ordonnance : Preservision 3® : 2 comprimés par jour pendant 3 mois pour commencer.

Mme T. passe à la pharmacie pour disposer de son traitement et rentre chez elle. Elle commence le traitement dès le lendemain.

Douze jours passent… lors d’un passage aux toilettes, la patiente constate l’émission de selles noires diarrhéiques et nauséabondes. Elle appelle alors son médecin traitant qui, devant les éléments mentionnés, lui demande de se rendre aux urgences de l’hôpital de secteur, ce que la patiente fait immédiatement.

À son arrivée aux urgences, l’Infirmière d’Accueil et d’Orientation (IAO) réalise l’entretien d’accueil et lui prend les premières constantes : fréquence cardiaque à 110 bpm, tension artérielle à 100/55 mm de Hg. La patiente lui précise qu’elle a 120 à 130 mm de Hg de maxima d’habitude et qu’elle est un peu plus fatiguée qu’à l’accoutumée.

La patiente est installée en box de consultation et le médecin urgentiste vient faire le point de la situation. Lors de l’interrogatoire médical, le praticien note que la patiente a déjà présenté un ulcère duodénal 3 ans auparavant, diagnostiqué lors d’une gastroscopie réalisée dans les suites d’un tableau clinique caractéristique ; elle décrit également une sensation de faim douloureuse, des éructations depuis 2 à 3 jours et des ballonnements intestinaux.

Le médecin urgentiste explique qu’il suspecte une récidive d’ulcère. Il propose à la patiente de faire un bilan biologique pour écarter une anémie pouvant expliquer l’asthénie, de faire un test respiratoire à l’urée marquée pour éliminer la notion de la présence d’un Helicobacter pylori et de débuter un traitement par inhibiteurs de la pompe à protons par voie intra-veineuse, ce qui est fait.

Les résultats du bilan biologique montrent une anémie à 6,5 g/dL… l’urgentiste demande un bilan d’hémostase complet car il ne comprend pas cette anémie marquée, et propose à la patiente d’organiser une gastroscopie au plus vite, le gastro-entérologue de garde ayant confirmé l’indication. La patiente est transférée en médecine pour surveillance ; l’examen invasif est planifié le lendemain en fin de matinée.

Le bilan d’hémostase détecte un INR à 8,4. Le médecin urgentiste remonte voir la patiente en médecine et lui demande si elle prend un traitement. Cette dernière lui précise qu’elle prend pour seul et unique médicament celui prescrit par son médecin traitant : Preservision 3®. Le praticien appelle alors le mari de Mme T., qui accepte de ramener les médicaments pris par la patiente ; il amène 2 boites de fluindione® ou Préviscan®

Le médecin urgentiste prescrit de la vitamine K en ampoule buvable et des fractions de concentré de complexe prothrombinique (PPSB) et prescrit un contrôle de l’INR le lendemain matin.

Mme T. bénéficie d’une transfusion de 2 Concentrés de Globules Rouges (CGR) avant la réalisation de la gastroscopie prévue, qui objective un ulcère duodénal de 2,5 cm avec un saignement actif modéré qui est clipé.

Mme T. reste en surveillance pendant 5 jours, bénéficie d’une transfusion de 1 CGR supplémentaire, et rentrera à son domicile. Les suites de cette erreur médicamenteuse seront sans autre complication.

Conséquences

Cette erreur médicamenteuse, classée comme Événement Indésirable Grave (EIG), a eu comme conséquences :

  • Une hospitalisation de Mme T. pour une hémorragie digestive haute, en grande partie liée au traitement antivitamine K accidentel.
  • Un acte d’endoscopie digestive.
  • Une transfusion sanguine pour anémie sévère.
  • Un fils très mécontent, qui a manifesté son exaspération au téléphone et a demandé des explications à la pharmacie de ville.
  • Une préparatrice en pharmacie et une pharmacienne catastrophées par l’événement qui a mis en jeu le pronostic vital de la patiente…

Méthodologie et analyse

Même si cette erreur médicamenteuse a été atténuée par une excellente prise en charge hospitalière, elle a été difficile à accepter par les professionnels de la pharmacie de ville. L’annonce de cet événement indésirable a généré un fort sentiment de culpabilité.

Devant ces éléments, la pharmacienne souhaite comprendre la genèse de cet EIG. Elle contacte la Communauté Professionnelle Territoriale de Santé (CPTS) car elle connaît un collègue qui a suivi une formation en prévention des risques et qui a déjà réalisé plusieurs analyses d’événement de ce type.

L’objectif de ce retour d’expérience est de comprendre le mécanisme de cet événement et d’éviter de renouveler ce type d’incident dans l’avenir.

Une analyse de risque a posteriori est donc réalisée.

Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue.

Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de cette patiente : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents tracés dans le dossier pharmaceutique de la patiente en officine.

Cause immédiate

C’est la découverte de l’hémorragie digestive haute qui a mis en évidence cette erreur médicamenteuse.

Causes profondes


Les conséquences de cet EIG pour la patiente ont été médicalement maîtrisées :

  • Les barrières d’atténuation ont été mises en œuvre avec une bonne efficacité.
  • À aucun moment, le pronostic vital de la patiente n’a été menacé.
     

Néanmoins, on recense :

  • Une grosse inquiétude sur le moment et un mécontentement certain du fils de la patiente.
  • Une prise en charge lourde de la complication : hospitalisation – réalisation d’un examen invasif – transfusion.
  • Une culpabilité des professionnels de l’officine de ville.
     

Barrières de défense

Partant de ce constat, il est important de mettre en évidence les barrières de défense qui ont été déficientes :

Les pistes de réflexion et/ou d'amélioration

  • Réflexions sur les interruptions de tâches

Les interruptions de tâches (IT) sont une thématique reconnue comme essentielle par la Haute Autorité de Santé dans l’approche sécuritaire du circuit du médicament.

Les professionnels de santé perçoivent l’IT comme une normalité dans leur activité quotidienne. Quelle que soit la source de ces IT, elles affectent l’attention, peuvent générer du stress et des erreurs de toutes sortes, comme les erreurs médicamenteuses.

C’est en équipe que cette prise de conscience doit se faire, et ensemble trouver les solutions pour les minimiser.

  • Réflexions sur la charge de travail

Les organisations établies peuvent être mises en difficulté par un déficit de ressources humaines. Les modes dégradés induisent très souvent des difficultés de fonctionnement.

Ce constat se pose pour tout type d’organisations et doit, chaque fois qu’il est rencontré, permettre la mise en place de barrières de sécurité adaptées.

Si les solutions ne sont pas trouvées, certaines modalités organisationnelles doivent être mises en œuvre pour des pratiques plus sécures (cf. interruptions de tâches).

  • Réflexions sur les médicaments à risque

Une réflexion sur la pertinence d’identifier les médicaments à risques (médicaments entraînant un risque plus élevé de générer des dommages importants) est initiée.

Les modalités d’identification restent à définir mais l’ensemble de l’équipe est d’accord pour déployer ce dispositif. Il permettra d’activer un surcroît de vigilance lorsqu’un médicament à risques est à délivrer.

Conclusion

La sécurisation du circuit du médicament doit être une préoccupation constante des professionnels de santé. 

L’approche systémique dans la construction d’une organisation est indispensable.

La bonne connaissance des risques doit éviter leur répétition, et ce, pour tous les métiers impactés par la dynamique de sécurité en santé.